Mondes Emergents

Another BRICS in the world...

mardi 25 septembre 2012

La Russie s'achète une conduite


La Russie s'achète une conduite 


Depuis le 23 août dernier, la Russie est entrée officiellement dans l’Organisation mondiale du commerce. Après 18 ans de négociations, ce pays s’est enfin acheté une respectabilité sur les marchés internationaux. Redorer son blason, la Russie en avait besoin. Depuis un an, les accros se sont multipliés. Du départ du précieux ministre des Finances Alexeï Koudrine, au limogeage du maire de Moscou en passant par la honteuse passation de pouvoir entre Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev, la Russie était en panne de crédibilité.

OMC : trois lettres qui sont synonymes de respectabilité, de croissance et de relations cordiales. Le scénario semble similaire à celui qui a amené la Chine à intégrer cette organisation en 2001. L’intégration de Pékin n’avait-elle pas signée la rupture définitive avec son passé communiste ?

Il est tentant d’établir un parallèle avec Moscou. Pourtant les deux situations sont extrêmement différentes. Car désormais un fait est certain, la Russie ne profitera pas autant de cette intronisation que son voisin oriental.

Seule une poignée de secteurs peuvent se frotter les mains, car la Russie de 2012 n’a rien à voir avec la Chine de 2001. C’est un fait, la Chine a profité abondement de son entrée dans l’OMC. Après 2001, les exportations chinoises ont bondi de 20% par an. De même, les investissements étrangers (IDE) ont été multipliés par cinq en 10 ans. Rétrospectivement, on s’aperçoit que la méthode était simple : la Chine a su profiter à fond de son faible coût du travail pour inonder le monde de produits manufacturés peu chers. Textile et petit électronique dans un premier temps, écrans plats et PC ensuite. Rien de tel avec la Russie. Les coûts du travail sont au contraire parmi les plus hauts des pays émergents. Surtout, la Russie est entrée dans l’OMC avec une toute autre ambition, redorer son image.

La Russie souffre d’un déficit d’image. Cette adhésion est un gage donné aux investisseurs de l’engagement du Kremlin dans la mondialisation. Comme le rappel Thomas Gomart, directeur du développement stratégique de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) et spécialiste de la Russie, « grâce à son adhésion à l’OMC, la Russie rassure les investisseurs. Ils vont avoir l’impression d’investir dans un cadre plus propice que par le passé, une base légale pour normaliser les relations économiques ». Oui, à la différence de la Chine, la Russie ne va pas se servir de l’OMC pour inonder le monde de ses produits. Vous savez pourquoi ? Parce que c’est déjà le cas. !

Le secteur de l’énergie est déjà libéralisé
La Russie est un pays essentiellement minier et énergétique. Son solde commercial parle pour elle :
Les exportations de produits énergétiques et miniers se sont élevées à 212 milliards d’euros l’année dernière, selon le cabinet d’analyses Global Intelligence Alliance, et à 191 milliards d’euros pour les carburants. Ces deux secteurs constituent de loin les deux premiers excédentaires de la balance commerciale russe.

Surtout, alors que la Chine tarde à faire émerger quelques grandes marques à l’international, les firmes comme Gazprom, Novatek ou Rosneft sont déjà des acteurs de statures internationales. Total, Shell ou encore ExxonMobil n’ont eu aucun mal à conclure des accords avec ces firmes ces dernières années. Par contre, on ne peut pas en dire autant des autres secteurs de l’économie russe. Or la confrontation internationale risque d’être sanglante.

Le commissaire européen chargé du Commerce Karel de Gucht l’expliquait récemment, l’entrée de la Russie dans l’OMC « va faciliter les investissements et le commerce, permettre d’accélérer la modernisation de l’économie russe et offrir de nombreuses opportunités commerciales pour les entreprises russes et européennes ». Dit de manière moins diplomatique, cette ouverture va contribuer à détruire de nombreux pans de l’économie russe, dont les activités seront assurées par des compagnies étrangères, notamment européennes.

Seuls les secteurs dans lesquels la Russie a déjà un avantage, à savoir l’énergie et l’agriculture, sauront résister. D’ailleurs, le Kremlin a réussi à préserver des barrières douanières pour ces deux domaines d’activités. Par exemple, les droits de douane dans l’agriculture vont passer de 13% à 10% sur les produits agricoles.

Quel est l’intérêt de Poutine ?
Comprendre tous les ressors de la stratégie russe s’avère difficile, tant les calculs politiques ne sont jamais loin des calculs économiques. Deux constats peuvent cependant être faits :


  • L’industrie russe va souffrir

Le Kremlin semble conscient du besoin de modernisation. C’est tout l’objet de la création, sur le modèle chinois d’ailleurs, des zones économies spéciales (ZES). Elles sont situées à Zelenograd et Dubna près de Moscou, ainsi qu’à Elabuga et Lipetsk. En prime, la R&D sera soutenue grâce au projet de pôle technologique de Skolkovo près de Moscou.
Mais en attendant que ces projets décollent, l’industrie russe va souffrir de cette mise en concurrence à l’international.


  • La population va en profiter

Grâce à l’ouverture des frontières commerciales, le coût des importations va baisser.
Car en dehors de l’énergie et des mines, la Russie compte énormément sur les importations. La balance commerciale russe est d’ailleurs largement déficitaire : c’est le cas dans les produits manufacturés (-142 milliards de dollars en 2011) ou les machines et équipements de transport (-73 milliards de dollars).

Ainsi, l’adhésion à l’OMC va permettre de redonner du pouvoir d’achat à la population russe. Après une année où le pouvoir politique a été fortement contestée, il n'est pas inimaginable de voir l’accélération de l'entrée de la Russie dans l'OMC comme un cadeau électoraliste.

dimanche 13 mai 2012


La démocratie, le premier atout de l'Inde contre la Chine ?



C'est une habitude, nous sommes fascinés par l'autoritarisme.

ça ne date pas d'aujourd'hui. En France, les années 1920 et 1930 ont donné lieu aux plus surprenantes conversions politiques. Communisme et fascisme attiraient à eux les déçus du parlementarisme de la IVe République, celle-ci n'en finissant pas de se consumer dans d'inter-minables tractations et autres affaires d'inceste politico-économiques. L'affaire Stavisky, symbole de la corruption de cette démocratie, fut plus qu'un révélateur, elle fut un épouvantail. Elle poussa des bataillons entiers d'électeurs dans les bras de partis politiques extrémistes, aveuglés par le phantasme d'une pseudo efficacité soviétique ou nazie.

Aujourd'hui, une même hypnose s'exerce envers la Chine communiste.

Murés dans notre fascination pour les parades militaires sur la place rouge, des taux de croissance de 10%, ou des moissons de médailles au derniers Jeux Olympiques de Pékin (51 chinoises contre 36 américaines), nous restons prostrés devant cette ascension. Comme dans les années 1930, notre paralysie devant un autre modèle est d'autant plus forte que la transparence de nos démocraties ne nous fait pas ignorer nos taux de chômage, d'endettement, voire de corruption. Frappé de catalepsie, nous restons sur le rivage des Syrtes, en fantasmant à nouveau la réussite et la puissance des modèles autoritaires. Pourtant, comme dans le roman de Julien Gracq, c'est l'ignorance qui nous paralyse. Et nous nous y complaisons, comme pour expier les défauts de nos démocraties. Ne rien connaître pour ne rien savoir, il semble que nous appliquions fidèlement ce précepte du philosophe chinois Han Fei Zi.

Pourtant nier les liens entre croissance et liberté revient à nier ce qui a fait le succès de l'Europe depuis 500 ans. C'est surtout nier la capacité des démocratie à surpasser les dictatures. C'est actuellement tout l'objet du débat entre les partisans du modèle indien et du modèle chinois.

L'Inde, le "moins mauvais" des pays émergents ?
Devenir un fervent soutien du modèle économique indien à l'heure actuelle relève de la gageure. Selon la Banque Mondiale, l'Inde se classe 134ème sur 183 pays pour la facilité à faire des affaires. Et je ne parle pas de sa place dans la catégorie « démarrage d’une entreprise », « obtenir un permis de construction » ou encore « respect des contrats ».

Pourtant le modèle indien continue d'avoir le soutien d'irréductibles. Un des premiers à croire dans le modèle indien fut Guy Sorman. Pour l'intellectuel français, l'Inde a un avenir bien plus florissant que son voisin du nord-est. Ses grandes universités (sur lesquels j'ai déjà consacré un article sur ce blog) comme l'Indian Institutes of Technology, ses multinationales comme ArcelorMittal ou Infosys, assuraient à l'Inde une réussite durable.

Le débat ne s'est bien entendu par arrêté avec Guy Sorman. Il vient de rebondir après la publication d'un article d'Eric X.Li dans le New York Times le 16 février dernier. L'article, sobrement intitulé  Why China’s Political Model is Superior, ici, fait le constat que le modèle démocratique de nos pays a échoué. L'article, publié dans le New York Times, a bien entendu fait écho aux inquiétudes de certains américains sur la viabilité de leur modèle, et, par extension, sur le modèle occidental.

Un ouvrage publié récemment a ainsi essayé de théoriser les différences entre modèle démocratique et autoritaire. Les deux auteurs, Daron Acemoglu et James Robinson, ont développé le modèle d'institutions « extractives » (autoritaires), et « inclusives » (démocratiques) dans leur ouvrage Why nations fail. Pour eux, comme l'explique très bien un article de Contrepoint ici, seules les institutions inclusives permettent de développer une certaine liberté politique. Celle-ci permet de renouveler constamment les équilibres politiques, donc les équilibres économiques, et au final de permettre un processus de « destruction créatrice », selon le concept de l'économiste Joseph Schumpeter, qui bénéfique au commerce.


Inde, l'économie de la connaissance
Bien sur, il est facile de trouver des contre-modèles. Ainsi Singapour, développé sous le règne autoritaire de Lee Kuan Yew, est devenu un des pays les plus riches du monde. Appelé « paradoxe de Lee » (un régime autoritaire réussi à prospérer), ce succès est peut être simplement du à la particularité du pays. Sa faible population et sa spécialisation dans l'industrie financière ont peut être évité au pouvoir politique d'être confronté au besoin d'une économie réellement diversifiée, de créer une amble classe moyenne, et à terme d'ouvrir des droits politiques.

Je partage donc l'optimiste sur l'avenir indien, et les réticences sur le « miracle » chinois des auteurs. Dans son récent ouvrage « La puissance au XXIe siècle », Pierre Buhler souligne que « les étapes  du rattrape par l'imitation [en Chine] ont largement été franchies, les phénomènes des rendements décroissants se renforcent, le modèle productiviste fondé sur l'industrie ne permet pas d'absorber les bataillons de l'exode rural ».

C'est désormais l'heure de la création de la croissance par la créativité et l'innovation.

Or à ce jeu là, l'Inde est mieux parti.