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dimanche 28 novembre 2010

Filière nucléaire française, chronique d'un déclin annoncé
La France perd du terrain sur le marché international du nucléaire


Le 23 novembre dernier, le cercle de réflexion « Inventer à gauche » organisait une rencontre sur la filière nucléaire française. François Roussely, chargé par le président français en début d'année de rendre un rapport sur l'évolution de la filière nucléaire française, est revenu sur son travail à l'occasion de cette rencontre.

Une industrie qui fait encore illusion
L'industrie nucléaire peut être observée comme un miroir des ambitions économiques françaises, à savoir un secteur bouffi d'orgueil incapable d'anticiper les défis futurs. Autrefois carte de visite de l'excellence française, l'industrie nucléaire française est effectivement en passe de se « banaliser », selon les propres mots de François Roussely. Si le secteur profite encore de l'illusion de ses clients et de ses concurrents, qui « l'imaginent plus fort qu'il n'est réellement », une série d'échecs depuis 2005 ont confirmé le début du déclin.

La fin du nucléaire de papa
François Roussely est revenu brièvement sur les trois facteurs qui ont fait le succès de cette industrie. Le premier atout a concerné la situation de monopole dont bénéficiait les trois organismes responsables de la construction du parc nucléaire français, Edf, le CEA et Framatome. Le deuxième facteur important a été la nécessité d'accompagner le décollage de l'économie française, qui a souvent permis de placer l'intérêt général au-dessus des batailles d'égo. Enfin, les trois acteurs ont bénéficié de la maitrise du temps, leur permettant d'enchainer la construction des centrales sans discontinuité. Ce dernier facteur a notamment permis d'accumuler les retours d'expérience, et de réduire rapidement de 30% le prix unitaire des centrales.

La France en ordre dispersé
Les années 1980 ont signé la fin de cette période. La cohésion de la filière nucléaire française a perdu petit à petit de sa légitimité, sous le double impact de l'achèvement du parc nucléaire national et de la mise en place d'une industrie tournée vers l'exportation. Ce fut le cas notamment de Framatome, puis d'Areva. Le CEA s'est pour sa part diversifié vers les énergies nouvelles. Edf a quand à lui commencé à préparer le renouvellement du parc français. Les trois organismes se sont ainsi lentement éloignés. Or Mr Roussely a rappelé que « la spécificité de la filière nucléaire française dans le monde était le retour d'expérience de l'exploitant .On se banalise si on se base que sur le front des prix ou des caractéristiques de telles turbines ».

La filière française rate son entrée dans la mondialisation
La principale conséquence de la fin de cet âge d'or a été de laisser la filière sans stratégie clairement établie. Ces dysfonctionnements n'ont pas permis à la filière française d'anticiper les nouveaux défis internationaux du secteur. Pourtant, la première explication donnée par François Roussely à cette longue dérive est indépendante du contexte français. L'efficacité de la filière françaises reposait sur une maitrise de tous les secteurs d'activité, de l'ingénierie à l'exploitation. Aujourd'hui, Mr Roussely a révélé qu'Edf et Areva n'ont plus l'occasion de déployer ce savoir faire. Au projet en Jordanie succédera bientôt un projet en Afrique du Sud, ou au États-Unis. La différence des contextes et des cahiers des charges contraignent les acteurs français à présenter une offre chaque fois différente, et donc destinée à ne pas procurer de retour d'expérience.

La nécessité d'adapter une offre
La filière française a par contre péché sur plusieurs autres points, au premier rang desquels l'incapacité à proposer une offre adaptée. Aujourd'hui, la France ne peut proposer qu'un seul modèle de réacteur à l'exportation, l'EPR. Or, « la demande internationale est portée par des pays différents, avec des besoins différents », a rappelé Mr Roussely. Autre facteur aggravant, l'EPR devait servir à l'origine à préparer le remplacement du parc nucléaire français. Ce produit n'était pas destiné à être exporté. Le cout et la puissance de l'EPR ont ainsi été décidés en fonction des exigences de deux pays développés, la France et l'Allemagne, possédant déjà une expérience dans le domaine de l'ingénierie et de l'exploitation de centrales. Or la « renaissance » actuelle du nucléaire est portée avant tout par les nouveaux arrivants dans le nucléaire, Asie en tête. La sophistication de l'EPR apparait désormais très excessive pour ces pays.

La catastrophe de la perte du marché chinois
A rebours de la plupart des commentateurs, c'est la perte du marché chinois en 2005 qui a signé le véritable échec de la filière nucléaire pour François Roussely, et non pas l'échec d'Abu Dhabi. Petit retour sur un échec passé sous silence.

L'achèvement du programme électro-nucléaire français dans les années 1980 a signé la fin de l'âge d'or du nucléaire en France. La suite donnée à l'aventure nucléaire française est passée par la conception d'un nouveau réacteur, projet sur lequel se sont donc penchés ensemble la France et l'Allemagne. De son coté, l'ancêtre d'Areva a commencé à exporter les réacteurs français à l'étranger. C'est alors que la France se rend compte du quasi monopole que possédera Areva dans 40 ou 50 ans, lorsqu'il faudra renouveler le parc nucléaire français. L'État français décide de réagir, et « d'aider à la création d'une industrie à l'étranger [avec Edf] qui soit réceptive au mêmes caractéristiques que celles de la France, et qui ait dans son parc les mêmes centrales et les mêmes pratique et codes. L'objectif est d'assurer un minimum de challenge financier et industriel quand l'heure du renouvellement viendra, en attribuant 20% à 30% du renouvellement à Edf ». Dans cette recherche, un marché correspond à ces caractéristiques, la Chine. Ainsi, la France et la Chine entament un partenariat à partir de 1984. Or après des années d'échanges, la France perd un contrat majeur au profit du trio Westinghouse, Toshiba et Shaw, en 2005. Ce tournant, salué en France comme une victoire contre le pillage des technologies françaises, a porté un coup d'arrêt majeur à la stratégie de la filière nucléaire française.

Centralisation et stratégie à l'export préconisées par Mr Roussely
Pour redresser la filière, et mettre fin à la bataille des égos, les recommandations de François Roussely sont simples : la direction de la filière nucléaire doit être confiée à EDF, car « Edf est le seul à pouvoir être un intégrateur, un « plateformiste » comme on dit dans l'aéronautique, car l'électricien français est le seul à posséder une compétence dans l'ingénierie et l'exploitation ». Ce fait particularise Edf sur les marchés, face à des concurrents américains peu intégrés. Mr Roussely a rappellé qu'aux États-Unis, « sur les 105 réacteurs en fonctionnement, les 105 fonctionnent différemment ».

François Roussely a appelé également à la mise en place d'un comité ou d'un groupe capable d'identifier la demande étrangère, et de faire remonter la demande auprès des producteurs français. « Il est urgent d'avoir un instrument qui s'intéresse à la demande. Il faut une structure commerciale comparable à celle d'Airbus, car nous avons besoin de qualifier la demande », a préconisé Mr Roussely. A cet égard, la création d'un ministre de l'industrie et de l'énergie apparait urgente.

Les échecs répétés de la filière nucléaire française ont été brillamment analysés par Mr Roussely lors de cette rencontre. Pourtant, les propositions de l'ancien patron d'Edf ont souvent semblé inspiré par le passé glorieux de l'électricien français. Parmi ces recommandation, si une meilleure conduite de la politique industrielle française est apparu tombée sous le sens, peu de cas a été fait des velléités indépendantistes d'Areva, ni de la richesse potentielle de son rapprochement avec d'autres acteurs internationaux comme Mitsubishi.