Mondes Emergents

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dimanche 6 novembre 2011

La Chine face à la bulle du Jade


La Chine n'aidera pas le vieux continent. C'est en soit ce que Pékin a expliqué à l'Europe lors d'un sommet du G20 qui aura bénéficié du rebondissement grec pour cacher la faiblesse de ses résultats.

On s'attendait à tout. La Chine aurait pu exiger ce qu'elle voulait contre un prêt à l'Europe. Des ports européens, des voitures allemandes, des raffineries françaises....mais non, la Chine préfère laisser la main au FMI. N'y voyez pas un manque de solidarité. Le Brésil ou l'Inde sont sur la même longueur d'onde. Pourquoi Pékin ne s'est pas servi sur le marché européen ?

D'abord, il n'est jamais bon de solliciter un prêt quand on vient d'effacer 50% de la dette d'un de ses membres. Mais au de-là, la capacité d'intervention de la Chine est probablement surestimée par les commentateurs. Entre cavalier blanc (Pékin) et cygne noir (le référendum grec), je glisserais un élément de nuance : La Chine n'a pas voulu s'occuper du cas européen car elle a déjà ses propres problèmes économiques. La Chine a de l'argent certes, mais aussi des difficultés. On a tous un prêt à rembourser...

Les déséquilibres de l'économie chinois se laissent deviner derrière la prolifération de bulles en tout genre. Une des plus intéressantes concerne la bulle du jade, dont les prix ont été multipliés par 10 en quasiment 10 ans.


Une production à la peine fait grimper les prix

Début 2010, un sceau de jade blanc ayant appartenu à l'empereur Qing Qianlong (1711-1799) a atteint la valeur de 12.3 millions de dollars ! Il s'agit d'un record dans le domaine du jade. Actuellement, la jade le plus fin, appelé « mutton fat », se négocie à 3000$. Il est désormais bien au dessus des prix de l'or.

Comme pour chaque formation d'une bulle, les fondamentaux du marché font partis des explications. La demande a augmenté, et l'offre n'a pas suivi. Un des plus importants producteurs de jade, la Birmanie, a mis des barrières à l'exportation de jade de haute qualité. De même, une autre région productrice, le Xin Jiang, est fréquemment confrontée à des tensions ethniques. Pékin pourrait freiner la production afin d'éviter que la minorité musulmane Ouïghour ne trouve dans le jade de nouvelles ressources financières.

Coté demande, elle est soutenue par une volonté d'échapper aux effets ravageurs de l'inflation chinoise, qui a atteint 6% cette année. A l'instar de l'or, le jade est en Chine une valeur refuge, ainsi qu'une façon d'étaler sa richesse pour les nouveaux riches chinois. Pourtant, au de-là des fondamentaux du marché, le jade est également porté par sa dimension symbolique.


Le jade, cette étoffe dont sont faits les rêves...chinois

Cette ruée sur le jade nous paraît excessive, voire dangereuse. Elle est pourtant cohérente. Elle correspond à un réinvestissement de la population chinoise dans son histoire, dans sa culture.

Pendant la dynastie Shang (-1767 à -1122), qui marqua l'émergence du jade comme un produit de luxe, la légende voulait que seuls les empereurs pouvaient posséder les mines de jade. On retrouve cette valeur symbolique avec l'or, qui nous fait tout suite voyager dans l'Espagne du XVIe siècle, ou dans le far west américain du XXè siècle. En plus d'être considéré comme une valeur refuge, la jade est donc un produit culturel, spécifiquement chinois. Cet aspect est souligné par un producteur Ouïghour du Xin Jiang, interviewé dans un article du New York Times, « le jade ne représente rien pour notre culture, mais nous sommes reconnaissant à Allah que les chinois en soient fous ».

Pourtant, des mouvements similaires aux marchés du jade se multiplient sur toute la Chine, révélant l'irrationalité de la hausse de certains marchés. Le plus connu est actuellement la bulle immobilière. Mais bien d'autres marchés connaissent des croissances délirantes.


Des bulles qui se forment de toute part

La volonté d'investir dans des biens précieux qui ne soient pas libellés en yuan laisse un vaste choix. Ainsi, les spécialistes voient une augmentation sans précédente de la valeur de biens comme les montres de luxe, le vin ou la peinture contemporaine. Ce qui caractérise ces produits, c'est une grande valeur, des prix en dollars et en euros, et une possibilité d'être transporté.

Ainsi, l'année dernière, une montre Patek Philipps de 1943 a atteint le record de 5.7 millions de dollars dans une vente aux enchères chez Christie's. De même, les prix des grands vins a explosé avec la demande chinoise. Une bouteille de châteaux Lafite se vend actuellement à 60 000 dollars, alors qu'elle atteignait 4000 ou 5000 dollars il y a encore 10 ans. Et comme je l'ai déjà évoqué sur ce blog, l'art chinois est en train de réellement exploser, autour d'artistes comme Zao Wou-ki ou Zeng Fanzhi.


Bulle et spéculation, ou les joies de l'économie de marché

Le problème, c'est que cette recherche de biens de valeurs discrets ont attiré de nouveaux acteurs, les spéculateurs. Pour revenir au cas du jade, un important vendeur de jade de la région de Qingdao estimait qu'entre 70 à 80% des acheteurs de jade étaient des spéculateurs.

Ce ne serait pas un problème si on ne savait pas que les histoires de bulles économiques finissent mal en général. Ce fut le cas de la bulle de la tulipe au 18e siècle, première bulle identifiée au monde, ou de la bulle immobilière américaine de 2007 en passant pas la bulle internet de 2000.

Actuellement, c'est la bulle de l'immobilier chinois qui fait les gros titres des journaux. Grâce à plusieurs mesures de la banque centrale chinoise visant a resserrer le crédit, les autorités ont étonnement réussi à réduire les prix de l'immobilier dans certaines villes.

Est ce que les autorités réussiront à faire de même pour le jade ? Rien n'est moins sur. La bulle ne menace pas l'équilibre globale de l'économie comme le fait l'immobilier.

Plutôt, l'explosion de la bulle du jade sera un nouveau signe que la Chine est rentrée dans l'économie de marché, où la psychologie et l'effet de mode comptent autant que les plans quinquennaux de l'Etat.