Mondes Emergents

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mardi 20 avril 2010

La Russie se pose en acteur incontournable du nucléaire mondial


Dans un précédent article, j’avais souligné la vitalité du nucléaire russe. Bien organisé, tourné vers l’exportation, les centrales russes avaient réussi à pénétrer plusieurs marchés étrangers. Il est un autre marché sur lequel le Kremlin est en passe de s’imposer, le marché de l’uranium.

Depuis le début de la réorganisation de la filière nucléaire russe, en 2005, Rosatom a multiplié les partenariats à l’étranger. Le géant de l’atome a également développé ses capacités et ses technologies d’enrichissement. Cette stratégie pourrait à l’avenir permettre à la Russie de profiter de l’envolée prévue des cours de l’uranium, et des besoins en combustibles des marchés émergents.

En parallèle, ce positionnement sur un secteur particulièrement sensible, touchant à la fois aux problématiques énergétiques et de prolifération nucléaire, pourrait donner à Moscou une visibilité et une responsabilité nouvelle sur la scène internationale.

Le marché de l'uranium en forme de U
L’activisme russe dans ce secteur est justifié par les prévisions à la hausse du prix de l’uranium dans les prochaines années. Actuellement à un niveau justifiant à peine son exploitation, autour de 40 dollars la livre, deux facteurs devraient tirer à la hausse le cours du minerai : l’augmentation de la demande mondiale d’énergie nucléaire et la raréfaction des mines facilement exploitables.

La demande sur le marché de l’uranium excède actuellement l’offre. En 2009, les mines produisaient 108 millions de livre, pour une consommation de 170 millions. L'écart était comblé par la reconversion des armes nucléaires russes, dont le plutonium était utilisé à des fins civiles. Mais la demande devrait augmenter de 67%, pour atteindre 284 millions de livres 2030, selon la « World Nuclear Association ».



Le principal obstacle demeure l’exploitation de nouvelles ressources d’uranium. Les mines les plus facilement exploitables ont déjà été mises en service. De nouvelles capacités demanderont davantage d’investissements, pour des rendements parfois équivalents. Le prix de l’uranium sera ainsi considérablement réévalué. Déjà, le prix de l'uranium négocié sur des contrats de long terme dépasse les 60 dollars.

La stratégie « Nespresso » de Rosatom
Conceptualisée par Anne Lauvergeon, la stratégie « Nespresso » adoptée par Rosatom, le conglomérat public du nucléaire russe, consiste à accompagner l’offre de centrale d’une offre de combustible. En s’imposant sur le marché des centrales, Moscou s’impose ainsi mécaniquement sur le marché de l’uranium, qui demeure une activité bien plus lucrative.

C’est cet intérêt bien compris qui a amené Sergueï Kirienko, le patron de Rosatom, a développer l’offre russe dans le combustible. En 2007, le parlement russe a adopté la loi de « développement du complexe industriel énergétique nucléaire pour les années 2007-2010 et jusqu'à 2015 ». Cette loi a tout d’abord permis de développer le potentiel minier russe, afin de renforcer l’autosuffisance du secteur à hauteur de 70% d’ici 2015 (20% actuellement). Dans un deuxième temps, Rosatom s’est vu attribuer un budget conséquent afin d’acquérir à l’étranger des actifs miniers, et d’accroître ses réserves de matières premières.

Rosatom renforce la concentration du marché
Afin d’accroître ses réserves, Rosatom a misé sur les partenariats étrangers. Dans cette optique, Atomredmetzoloto, la société chargée de l’extraction au sein de Rosatom, et Techsnabexport, la société chargée des exportations, ont reçu 457 millions d’euros de l’Etat en 2009. En toute logique, les sociétés se sont tournés vers les trois premiers pays producteurs d’uranium.

Au Kazakhstan, qui dispose de 15% des réserves mondiales d’uranium, Rosatom a établi une joint venture avec Kazatomprom chargée d’exploiter les mines d’uranium kazakhstanaises. Au Canada, qui produit 50% de l’uranium mondial, Rosatom a signé un accord de coopération avec le sociétés canadiennes « Comeco » en 2007 et « Uranium One » en 2009. En Australie, qui produit 30% de l’uranium dans le monde, le gouvernement a autorisé ce mois-ci les sociétés minières australiennes a vendre de l’uranium à la Russie, en vertu d’un accord signé en 2007 par Vladimir Poutine et John Howard, le premier ministre australien de l’époque.

Angarsk, le grenier de l’atome
L’acquisition de grandes quantités de minerai est destinée à servir les capacités d’enrichissement d’uranium du pays, dont Moscou maîtrise les technologies. Moscou dispose déjà de 40 % de parts de marché de l’enrichissement dans le monde. Le pays est également responsable de 17% des livraisons de combustibles dans le monde, chiffre qu’il entend porter à 25% en 2030.

Afin de renforcer son rôle dans ce secteur, Moscou a annoncé en mars dernier la constitution d’un stock stratégique d’uranium à Angarsk, sous contrôle de l’AIEA. Cette « première banque de combustible » nucléaire, selon Sergueï Kirienko, devrait être consituté de 120 tonnes de combustible, permettant de faire fonctionner deux réacteurs classiques de 1000 mégawatts. L’ambition de ce projet est de répondre à la demande des pays émergents désireux de se lancer dans le nucléaire.

Le nucléaire, vecteur de l’influence russe sur la scène internationale
La stratégie poursuivie par Moscou s’apparente bien à une volonté de peser sur le secteur nucléaire à l’international. En prenant possession d’un grand nombres d’actifs miniers à travers le monde, Moscou se pose désormais en maillon essentiel de la filière du nucléaire civil, dans une optique du redémarrage international de la filière.

Mais au de-là d’un leadership économique, la stratégie suivie entend surtout procurer au Kremlin une visibilité internationale. L’implication russe dans le dossier iranien en a témoigner. En début d’année, Moscou a proposé à Téhéran d’utiliser ses stocks d’uranium d’Angarsk afin d’alimenter les centrales iraniennes. Cette stratégie a permis à Moscou de se poser, conformément à ses ambitions de puissance, comme un pont entre le monde musulman et l’occident.

Ainsi, la filière nucléaire revêt une importance stratégique pour le pouvoir. Son instrumentalisation pourrait à l'avenir servir la quête de puissance sur la scène internationale.

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