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samedi 22 janvier 2011

L'État français à reculons devant l'ouverture du marché de l'électricité


La concurrence oui, à condition qu'elle nous profite. C'est en quelques mots l'essence de la loi Nome, adoptée définitivement mercredi 26 novembre 2010. La loi Nome, pour « Nouvelle Organisation du Marché de l'Électricité », est une nouvelle étape dans le processus de libéralisation du marché décidé par les gouvernements européens en 1998. Lancé en pleine euphorie libérale des années 1990, l'enthousiasme s'est depuis considérablement essoufflé devant la montée des prix du kWh. La France mène ainsi depuis plusieurs années une politique ambiguë face à ce mouvement de libéralisation emmené la Commission Européenne. La Loi Nome lui permet de rester au milieu du guet encore quelques temps. Pourtant, la France devra définir dès 2011 un tarif définitif d'achat du kWh à Edf. Cette décision nous donnera un premier indice sur la stratégie française dans ce vaste mouvement de « libéralisation à marche forcée des marchés de l'énergie » pour reprendre l'expression de Jean-Marie Chevalier.

Un mouvement de libéralisation amorcé dans les années 1990
A l'origine était la concurrence. Depuis 1957, et plus encore après 1991, la libéralisation était devenue un gage d'efficacité des marchés. L'expérience anglo-saxonne avait notamment été jugée très concluante. C'est ainsi qu'en 1998, l'Union Européenne prend la décision de créer un marché de l'énergie unique et libéralisé. Gaz et Électricité sont concernés. La France accepte les directives de libéralisation des marchés électriques en 1998. Suivrons deux nouvelles directives, en 2004 et 2009. L'objectif est d'ouvrir les réseaux et de réformer l'organisation intégrée des grands groupes énergétiques. La France, comme l'Allemagne, est alors consciente que la libéralisation partielle du marché européen lui donne un avantage économique. Edf, comme E.ON ou RWE, maitrise la production, le transport et la commercialisation de leur énergie. Le monopole dispose d'un pouvoir de projection à l'étranger que l'ouverture des marchés va lui permettre de faire fructifier.

Edf surfe sur la vague de libéralisation du marché européen
Edf et GDF s'aventurent donc hors de leurs frontières, et investissent en Italie, en Belgique, en Angleterre et en Allemagne. L'atout français sur la scène européenne est son faible cout de production du kWh. Il existe deux types de tarifs de l'électricité en France. D'une part les tarifs de l'électricité régulé, qui proviennent de l'électricité hydraulique et surtout nucléaire, et d'autre part les tarifs de l'électricité thermique. Ces derniers prix ont tendance à s'aligner sur les prix du pétrole, du gaz, et souvent du charbon. Ainsi, l'avantage de la France est de posséder des faibles couts de production et une moindre volatilité. Par exemple, l'investissement en Angleterre, avec le rachat de « British Energy » par Edf, a été permis par la vente d'électron au prix du nucléaire. Pourtant, les conséquences à moyen terme de la libéralisation mécontentent État et industriels

L'État contraint d'entamer le monopole d'Edf
La Commission Européenne finit par s'agacer du manque d'application de l'État français dans la libéralisation de son secteur énergétique. La Commission Européenne rappelle notamment que le processus de libéralisation n'avait pas pour vocation de permettre aux fleurons énergétiques français et allemands d'envahir le marché de leur voisins. 10 ans après la première loi sur ce secteur, Edf reste l'opérateur ultra-dominant en France, et s'est considérablement étendu à l'étranger. Encore plus grave pour la Commission, il continue à contrôler indirectement le réseau électrique, ainsi que la formation des prix du kWh (régulés donc). Mais l'État n'est pas pressé d'ouvrir son marché. Le prix du kWh sur la nouvelle bourse de l'énergie, « Powernext », est nettement plus haut que le kWh français. Économiquement parlant, la France aurait tout intérêt à rester à l'écart de ce marché qui l'obligerait à payer plus cher son kWh. Comme le note ironiquement l'ancien PDG d'Edf, Marcel boiteux, « avec la suppression des tarifs régulés que demande Bruxelles, il ne s’agit donc plus, comme on pouvait le croire initialement, d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre la concurrence ». L'État français va ainsi continuer à louvoyer quelques années, pour finalement sortir un loi de libéralisation « molle ». Et la loi NOME fut.

NOME, Nouvelle Organisation Manifestement Équivoque
La loi NOME est un compromis. Pour l'anecdote, la validation de cette loi par la Commission a été acquise alors que Manuel Barrosso cherchait des voix pour sa réélection à la tête de la Commission Européenne. En substance, l'objectif de la loi est de faire bénéficier d'autres acteurs de la rente nucléaire grâce à laquelle Edf propose un tarif inégalé en Europe. Edf va devoir vendre jusqu'à un quart de sa production à ses concurrents, à un prix fixé par la CRE (Commission de Régulation de l'Energie). Les alternatifs espèrent un prix assez bas pour rendre leur activités compétitives. Ils ne pourront cependant pas revendre ces kWh à l'étranger. Cette loi a immédiatement été contestée par le premier acteur concerné, Henry Proglio, patron d'EDF. Pourtant, c'est l'État lui même qui a décidé de nommer cette figure forte et dirigiste du capitalisme français. L'État dévoilait ainsi sa schizophrénie en poursuivant d'un coté la libéralisation d'un secteur, et en renforçant de l'autre la nature monopolistique de son énergéticien. Seul le niveau de prix de revente du kWh nucléaire permettra de mesurer les choix stratégiques fait à la tête de l'Etat. Edf exige 42 €/Mwh, suivi d’une hausse annuelle de 3,5% par an. Les alternatifs proposent 34€.

Edf veut redevenir un géant européen
La question du prix du kWh englobe une problématique bien plus vaste, celle des ambitions d'Edf, et de son premier actionnaire, en Europe. Après une phase d'expansion dictée par les besoins de rentabilité, Edf est en train de se replier rapidement sur ses terres. Après la désillusion américaine, l'horizon d'Edf est fondamentalement européen. Ses atouts industriels lui confèrent encore un avantage indéniables sur ses concurrents. La preuve de ces ambitions retrouvées se trouvent à Flamanville et Penly. L'opérateur est en train d'y construire deux nouveaux générateurs de 3ème générations qui sont destinés à vendre leur production sur les marchés de gros européens. La fixation du prix de revente du kWh constituera pour Edf un élément déterminant dans sa stratégie de développement sur le continent. La décision de l'État sera lourde de sens.

Deux scénarios sont possibles : le « libéral », le « hors la loi ».
Dans le scénario « libéral », l'État français poursuit le mouvement de libéralisation du marché et fixe un prix du kWh assez bas pour privilégier les alternatifs. Les échéances 2015 et de 2020 permettront définitivement aux alternatifs de rentrer sur la scène française, en vendant sur les marchés européens ces kWh nucléaire. En parallèle, ces groupes se seront probablement équipés en capacités de production thermique, et se présenteront comme de réels concurrents à Edf. Le résultat, un prix du kWh plus cher pour le consommateurs, une plus grande dépendance à la volatilité due aux prix du thermique, mais de plus grosses rentrées pour l'État. Un deuxième type de scénario pourrait être appelé « hors-la-loi ». Récemment, Jean-Marie Chevalier a rappelé que le traité de Rome en 1957 a contribué à qualifier « d'illégal tout ce qui n'était pas géré par le marché ». L'Etat pourrait ainsi choisir de rentrer dans l'illégalité en refusant avec d'autre pays de poursuivre cette libéralisation du marché. Le caractère intégré d'Edf serait conservé, au profit du consommateur français.

Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au scénario de politique-fiction. La crise a cependant amorcé une réflexion sur les excès de la libéralisation des marchés. Cette réflexion atteindra peut être un jour le secteur de l'énergie. En attendant, l'État devrait réfléchir à une nouvelle Directive européenne à proposer, réduisant considérablement la dynamique libérale au profit d'une réflexion davantage centrée sur le consommateur.

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